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Sous l’effet de la mondialisation, les
pratiques de « concurrence fiscale dommageable » selon la définition
de l’OCDE, se sont développées : opacité, imposition quasi inexistante
dans les paradis fiscaux, mais aussi dans d’autres pays taux d’impositions faibles,
possibilité de négocier des dérogations (les « rescrits fiscaux »).
Elles sont favorisées par une concurrence entre Etats, qui attirent par ces
moyens les entreprises sur leurs territoires. Le résultat de cette concurrence
est que, en 40 ans, le taux moyen d’imposition sur les sociétés à l’échelle
mondiale a été divisé par deux, passant de 45% à 24%. Le phénomène
s’aggrave avec l’apparition de géants du service numérique, pour lesquels le
lieu d’imposition (celui du siège social) n’a plus rien à voir avec les lieux
de production du service. Les multinationales domicilient dans des paradis
fiscaux 40 % de leurs bénéfices. 7600 milliards de $ sont détenus dans des
paradis fiscaux (Gabriel Zucman)
Ces pratiques, légales, sont distinctes
des fraudes, illégales. Mais elles font perdre aux Etats des sommes
considérables et deviennent inacceptables à l’heure où la crise du Covid a
contraint les Etats à s’endetter, et où le changement climatique va nécessiter
des investissements publics massifs. Selon les estimations de la Commission,
l’évasion fiscale des entreprises en Europe coûte aux pays de l’UE entre 50 et
70 milliards d’euros par an. Le Parlement européen a dénoncé la situation a
plusieurs reprises, notamment à la suite de deux commissions d’enquête (TAXE en
2015, PANA en 2017).
La question de la justice fiscale est
sensible dans les opinions publiques européennes, mais dans des mesures
variables selon les Etats. Selon un Eurobaromètre de mars 2018, la création
d’impôts européens ou de taux plancher d’imposition sur les sociétés est
largement soutenue France (34.4%) et en Italie (27.8%), beaucoup moins en
Allemagne (29.9%), Irlande, Pays-Bas (25%), Luxembourg (24.9%), Suède (21.4%),
Finlande (20%), Irlande (12.5%) … Mais la pression publique s’accroit sous
l’effet des révélations à répétitions. Sur le Luxembourg : Luxleacks en
2015, enquête Openlux en 2021.
L’Union peine à agir : Négociations
laborieuses pour définir une assiette commune d’imposition des sociétés, sans
parler d’un taux minimum d’imposition. Directive non encore adoptée imposant
aux multinationales des déclarations fiscales par pays. La raison en est
connue : les décisions européennes en matière fiscale doivent être prises
à l’unanimité des pays membres. Ainsi chaque pays a de fait un droit de véto.
L’utilisent notamment le Luxembourg et l’Irlande, mais aussi Chypre, la
Hongrie, Malte, les Pays-Bas.
La solution pourrait s’imposer de
l’extérieur de l’Europe. L’OCDE (qui rassemble les grandes économies
occidentales) conduit depuis des années la recherche d’un accord international
sur la fiscalité des multinationales, notamment du numérique. Ces négociations,
bloquées par les Etats-Unis sous le gouvernement Trump, pourraient se débloquer
grâce à Jo Biden. Celui-ci va relever les taux d’imposition des sociétés aux
Etats-Unis et propose un taux minimal d’imposition sur les bénéfices de 21% à
toutes les multinationales, quel que soit l’endroit où il est réalisé.
L’application d’un taux minimum, augmenterait les recettes fiscales des Etats.
Surtout, elle supprimerait la concurrence déloyale accordée par certains
pays à leurs entreprises en leur permettant de loger leurs bénéfices dans des
paradis fiscaux ou pays à faible imposition. Le 7 avril les ministres des
finances du G20 (les 19 pays les plus riches + l’UE) ont affirmé leur volonté
de parvenir à un accord « d’ici à la mi-2021 ». Un accord aurait
évidemment une répercussion en Europe. Ainsi, les Etats-Unis pourraient,
en soutenant un accord international, amener les pays Européens à harmoniser leurs
fiscalités des entreprises, ce qu’ils ont tant de mal à faire par eux-mêmes.
François Vié,
président d’honneur du Mouvement Européen Pas-de-Calais
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