Lundi 12 septembre 2022 | " Le MIX Européen" " par Claude Fischer-Herzog Directrice d’ASCPE, Les Entretiens Européens & Eurafricain |
L’objectif 0 carbone 2035 est-il atteignable ? Est-il bien réaliste de vouloir assurer une croissance énergétique décarbonée sans nucléaire en Europe ? |
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La crise que nous traversons vient illustrer
le manque de réflexion stratégique de l’UE et des Etats ! Et quand la
Commission se refuse à pousser les feux sur le nucléaire, défavorisé sur le
marché dont la réforme structurelle n’est pas à l’ordre du jour, elle persiste
et signe, et ce malgré les risques majeurs de pénurie d’électricité et des
faillites industrielles annoncées ! Sans parler des risques de crise financière
et de désastre monétaire, sous-estimés. Pour comprendre la crise énergétique, il va
falloir sortir de la pensée unique qui voudrait que la cause « c’est Poutine »,
et pour en sortir, il va falloir articuler les mesures d’urgence à des réformes
en profondeur du marché européen pour rebâtir un mix énergétique diversifié et
décarboné si on veut retrouver notre sécurité énergétique et notre ambition
économique et politique dans un monde en pleines mutations. Et c’est chez nous d’abord que nous devons
aller chercher les causes si nous voulons trouver les bonnes solutions. Car,
oui, nous sommes à l’origine de la crise énergétique, qui a éclaté bien avant
la guerre en Ukraine, faut-il le rappeler ! Pour la comprendre, je souhaite
revenir sur la « stratégie » que la Commission, sous pression allemande, a
poussé jusqu’à l’absurde avec le Green deal, et ce avec la complicité des Etats
qui l’ont ratifiée, ne l’oublions jamais . . . L’ouverture des marchés nationaux en 1999 (2007 pour les particuliers) s’est accompagnée de la création d’un marché européen de l’électricité bancal : régi par les seules règles de la concurrence. L’électricité a été traitée comme une marchandise alors qu’elle était un bien public qui nécessitait politique publique et solidarité ! Et au lieu de les bâtir, la Commission a proposé des choix énergétiques qui ont créé beaucoup d’effets pervers avec les fameux « paquets climat ». Souvenez-vous du 1er paquet, le « 3x20 » : il s’agissait de réduire de 20% la consommation énergétique primaire, produire 20% d’électricité renouvelable avec le vent et le soleil (un objectif contraignant), et réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre (EGES) en 2020… Des chiffres qui ne reposaient sur aucune cohérence ni aucune stratégie… Les objectifs n’ont pas été réalisés ? On s’est entêté : avec le 3X30 en 2030, puis le Green deal ! Ce n’est même plus 3X50 en 2050, mais 50% de réduction de la consommation, 55% de réduction des EGES et 80% d’EnR dans le mix électrique (100% en 2100 !) |
On a donc continué dans la même voie, sans analyser
pourquoi les Etats n’étaient pas au rdv des résultats (car aucun objectif n’a
été atteint), ni les effets pervers qu’on avait pourtant pointés à l’époque :
subventions aux EnR qui ont pénalisé le nucléaire et le gaz, priorité sur les
réseaux qu’il a fallu adapter, restructuration des entreprises qui devaient
changer leur modèle économique, et surtout, volatilité des prix sur les marchés
de gros allant de 0 (voire prix négatif) à + 300 selon qu’il fait beau ou qu’il
vente… au détriment de l’industrie de base, qui devait pourtant compenser les
aléas du climat ! Comment expliquer cet « entêtement » ? Une cuture du
marché imposée : la concurrence libre et non faussée devait stimuler
l’innovation, et n’apporter que des avantages pour les consommateurs ! Mais
elle a nourri des rentes de situation, des intérêts nationaux, des rivalités,
et on n’a pas préparé l’avenir ! Pire, l’excès d’EnR intermittentes sur un
marché qui dissuade le nucléaire et pénalise ses entreprises productrices, a
fait exploser les prix du gaz. J’y
reviendrai. |
Avec le Green deal, on s’est gargarisé de mots : « Etre à l’avant-garde dans la lutte contre les
changements climatiques, devenir le 1er continent du monde sans empreinte
carbone dès 2050 » ! Or, tous les résultats sont au rouge ! Et malgré un
ralentissement de la croissance de nos émissions dû à la crise du Covid-19, les
niveaux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère ont atteint un nouveau record
en 2020, la tendance s’est poursuivie en 2021 et 2022. Or, qu’ont fait les
Etats ? Ils ont revu l’objectif intermédiaire de leur trajectoire à la hausse
en avril dernier : réduire les émissions de 55% d’ici 2030 (!) par rapport à
leur niveau de 1990, alors qu’aucun engagement n’a été respecté depuis la COP
21, et que nous continuons à émettre du CO2, et ce, de plus en plus vite. |
Le CO2 lié à l’usage de l’énergie représente environ 60% du problème ! Cela s’explique par notre énorme dépendance aux fossiles (72% pour l’énergie primaire) et une sous production électrique ! 4 Les objectifs de réduire notre consommation énergétique par deux d’ici 2050 et de promouvoir une électricité décarbonée avec une part de nucléaire ramenée à 15% (contre 25% aujourd’hui) et d’EnR à 80% (100% en 2100 !) sont « surréalistes », pour ne pas dire ridicules. L’hiver a été marqué par
une demande de gaz naturel croissante en Europe et dans le monde face à une
baisse structurelle de l’offre. Ce qui explique en partie la crise énergétique
que nous connaissons et la flambée des prix (qui rappelons le sont montés à
350€ le MWh fin 2021). En partie seulement, car l’écart entre la demande et
l’offre n’explique pas tout ! Il y a un énorme problème de régulation… En effet, pour compenser l’intermittence des renouvelables, on fait appel aux sources pilotables : d’abord le nucléaire, puis le charbon, puis le gaz. Or, la formation des prix en Europe se fait sur le dernier KWh appelé, et donc sur le prix du gaz ! |
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L’absence de vent et de soleil, la faible production nucléaire (liée à la
faible productivité du parc français due en partie à la priorité donnée aux EnR
sur les réseaux, mais aussi aux problèmes de maintenance et au manque
d’investissements dans le secteur - cet hiver, 17 réacteurs étaient à l’arrêt ;
ils sont 32 aujourd’hui -), la trop grande demande en gaz ont fait exploser les
prix. Ainsi la violence de la hausse des prix s’explique par le choix des EnR
imposé par le Green deal et l’Energiewende de l’Allemagne, dont l’intermittence
est compensée par du charbon et du gaz. C’était avant la guerre en Ukraine !
Et le pire est devant nous : « stratosphérique !» a pu titrer les Echos. On parle de 320€ le MWh pour le gaz et 1000 € pour l’électricité ! Le prix de l’électricité sera ramené à 600 € suite aux mesures des Etats qui ont décidé – en accord avec la Commission - de débloquer des milliards de garanties au profit des entreprises productrices d’électricité pour qu’elles puissent faire face à leurs obligations sur les marchés financiers, et éviter « un moment Lehman Brothers » (selon les termes d’un dirigeant finlandais) … On parle de 1500 milliards ! Carsi à l’époque, la crise financière s’est transformée en crise économique, cette fois-ci, il s’agit d’éviter que la crise énergétique ne se transforme en crise financière ! Il faut s’attendre à des catastrophes industrielles pour les électro- 5 intensifs, mais aussi pour les entreprises qui n’auront plus les moyens de produire… et à qui j’y reviendrai on demande de moins consommer. Tant pis pour l’industrie et l’emploi et la croissance ! Les menaces qui pèsent sur l’alimentation en gaz russe de l’Europe (qui je le rappelle ne sont pas LA cause de la crise, mais sont venues l’aggraver) ont amené la Commission - qui a toujours combattu l’idée d’une réforme du marché - a proposé une réunion d’urgence le 9 septembre… pour discuter d’un « plan » pour atténuer les prix élevés de l’énergie, soulager les consommateurs et les entreprises, et préparer l’hiver prochain. La solution n’est donc pas d’augmenter les EnR en réduisant le nucléaire, mais d’augmenter les EnR et le nucléaire qui ne produisent pas ou très peu de CO2 pour réduire les fossiles (et/ou les décarboner) car ils en produisent 10 voire 20 fois plus s’agissant du gaz, 40 fois plus pour le charbon et le pétrole ! Plus facile à dire qu’à faire ! Car qui veut se passer de son pétrole, de son charbon ou de son gaz ? Personne… 53% des fonds alloués aux entreprises du secteur de l’énergie dans le cadre des plans de relance des pays du G20 sont allés à des projets utilisant des combustibles fossiles ! Quant au charbon, on réouvre des centrales en Allemagne, on autorise un relèvement des heures autorisées de fonctionnement en France, et il faudra aider la Pologne qui en dépend (n’ayant ni nucléaire, ni vent, ni soleil, ni eau à la maille suffisante) en finançant du CCS 6 (capture et stockage du CO2) et en favorisant la diversification de son mix avec le nucléaire. Quant au gaz, peut-être qu’on aura moins de gaz russe dans le mix énergétique (je rappelle que l’Allemagne espérait pouvoir dispatcher grâce aux Nord Stream 1 et 2 (1), ce qui est remis en cause avec la guerre en Ukraine, l’arrêt du Nord Stream 2 et les « rétorsions » de Poutine qui menace de couper les livraisons vers l’Europe si la Commission européenne instaure un plafonnement des prix), mais l’Europe et les pays cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement plus que diversifier leur mix avec le nucléaire ! Les Américains se frottent les mains en vendant leur GNL à l’Allemagne qui cherche à diversifier ses importations depuis la Norvège ou le Canada (qui rechignent), ou depuis l’Algérie via l’Espagne et la France (qui rechigne aussi) … Elle n’a pas encore décidé de garder son nucléaire mais a décidé de tripler le nombre d’éoliennes terrestres d’ici 2032 (2% du territoire), ce qui créera de nouveaux cercles vicieux, puisqu’avec plus d’éoliennes, il lui faudra plus de base pilotable en cas d’absence de vent ou de soleil ! Car, l’Allemagne ne sait pas encore stocker l’électricité produite avec les EnRi ni produire de l’hydrogène verte. En Europe, un courant se développe pour ne pas fermer la porte au nucléaire, y compris dans les pays comme la Suède, la Belgique et la Suisse… et – même en Allemagne – le nucléaire fait son retour dans la conscience du Gouvernement et de la société ! Une majorité d’Allemands serait pour le nucléaire, et les trois régions qui ont encore une centrale s’interrogent pour en prolonger l’exploitation, la Bavière étant à l’avant-garde.(1) En 2019, l’Union Européenne a importé 440 milliards de m3 de gaz naturel. Plus de 37 % (166 milliards) venaient des gazoducs russes. Le Nord Stream 2 aurait dû compléter de 55 milliards de m3 l’offre déjà proposée par le Nord Stream 1 en service depuis 2012 (qui fournit 63milliards de M3 à lui seul). La guerre vient bousculer les projets de l’Allemagne qui cherche d’autres fournisseurs, et parle de développer la production de charbon plutôt que de maintenir ses centrales nucléaires en activité ? En France, rediscuter la loi et ses
objectifs. En France, je
rappelle que la réalité du mix énergétique, c’est près de 65% de fossiles et
25% d’électricité. (Le solde de 10% représentant les EnR thermiques). Le
nucléaire représente 67% de la production électrique en 2020 mais seulement 17%
de la consommation d’énergie finale (les EnR, hydraulique compris, en
représentant 19%). La feuille de route pour réussir sa transition vers une
économie bas carbone en 2050, et donc pour réduire par 6 ses émissions de gaz à
effet de serre, s’inscrit dans le cadre de la loi de transition énergétique
(PPE, loi de programmation pluriannuelle de l’énergie). Mais, pas d’illusions, ce sera difficile… car les choix devront impliquer les sociétés, mal préparées et qui ont tendance à déléguer. Il n’y a pas l’Etat d’un côté et la société de l’autre : ils forment un couple ! Et les pressions écologistes sont venues autant des sociétés qui ont tiré les Etats en arrière lesquels n'ont rien fait pour permettre une appropriation sociétale de la technologie nucléaire… (Quand ils n’ont pas cédé – comme chez nous - aux sirènes anti-nucléaires avec l’espoir de recueillir 2% de voix aux élections !). Et le Conseil National – contesté dans les propres rangs du président - n’est certainement la solution miracle. Réduire l’empreinte carbone et
augmenter notre production électrique ----------------------------------------------------------------------------- En France, on a été
stupéfait que le projet de loi « Climat et résilience » ne traitait pas des
nouveaux besoins alors que la plupart des usages sont encore non électriques,
que ce soit dans le bâtiment pour la production de chaleur (gaz et pétrole
essentiellement), ou dans les transports (90% de pétrole). Il y a une
sousévaluation des besoins et nous n’avons aucune précision sur le rythme de
croissance anticipé, ce qui a pourtant une grande incidence sur le niveau de
consom mation énergétique. La consommation globale d’énergie finale a avoisiné
155 Mtep (1800 Twh) en 2019 dont 473 TWh d’électricité (pour une production de
538 TWh). Or tous les scénarios présentent une forte croissance de la
consommation électrique. Avec une hypothèse de croissance de 1% par an d’ici
2050 comme le prévoit d’ailleurs « le scénario central » de RTE (et à condition
de baisser la consommation d’énergie de 1%/an et la part des fossiles de 30%
d’ici 2050), on devrait augmenter la production électrique d’environ 240 TWh
pour pouvoir répondre à une consommation voisine de 710 TWh, hors exportation.
Le président d’EDF Jean-Bernard Lévy parlait même de 2% de croissance par an
pendant 30 ans, ce qui nous amènerait à 900 TWh. Ce qui, soit dit en passant,
consoliderait notre sécurité d’approvisionnement et nous permettrait de
continuer d’exporter chez nos voisins. Je rappelle que
l’électricité constituait la seule énergie qui présentait un solde positif de 2
milliards (permettant de réduire notre facture globale qui s’élevait à 41
milliards, et ce grâce aux faibles coûts variables de notre parc de production
(en particulier nucléaire et hydraulique) qui le rendaient particulièrement
compétitif. Or, cette année et pour la 1ère fois, la déstabilisation de notre
système électrique (faiblesse de notre parc éolien et absence de vent, et de la
productivité des centrales dont le facteur de charge est ralenti du fait de la priorité
des EnRi sur les réseaux, ralenties mise à l’arrêt de de réacteurs
simultanément pour cause de maintenance reportée à cause du Covid ou pour cause
de visite décennale sous contrôle de l’ASN pour la prolongation de la durée de
vie des réacteurs, la fermeture de Fessenheim…) nous a obligés à importer de
l’électricité, notamment celle produite par l’Allemagne avec du charbon et du
lignite, et de remettre nos centrales thermiques en route dès la fin de l’été.
Une aberration. Aujourd’hui, Mme Borne exige des entreprises qu’elles réduisent
leur consommation, mais cela ne va pas favoriser la réindustrialisation de la
France et le risque de précarité énergétique touchera les particuliers si on ne
produit pas plus et à des prix abordables !
En France aussi, il s’agit donc moins de consommer moins que de produire
plus et décarboné ! Notre mix énergétique est encore composé à 80% de fossiles,
et 20% d’électricité, il est donc évident qu’il faudra produire plus d’EnR et
plus de nucléaire… Il n’est d’ailleurs pas question d’opposer ici les EnR et le
nucléaire. La grande question étant : dans quelle proportion ? C’est une
exigence de vérité. Des études, comme celle de l’AEN à l’OCDE par exemple,
prouvent qu’au-delà de 30% d’EnRi (40 maximum), la sécurité du système
électrique n’est plus assurée. Et avec quel type d’EnR ? Car non seulement
elles ne valent pas le nucléaire, mais elles ne se valent pas entre elles !En
effet, l’éolien et le solaire sont intermittentes, elles ne peuvent se faire
qu’au prix d’une puissance installée très supérieure à la puissance appelée,
d’un renforcement du réseau, et de la mise en service de moyens de production
complémentaires et souples. Elles bénéficient actuellement d’une priorité sur
le réseau et d’un prix d’achat garanti, l’écart avec le prix de marché étant
payé via les taxes appliquées aux consommateurs. En clair, elles sont hors
concurrence !Dans son discours de Belfort, Emmanuel Macron a proposé 100GW de
solaire, 37GW d’éolien terrestre… et 40GW d’éolien en mer avec la construction
de 50 parcs, mais de ramener le nucléaire à 40%, en clair de brider le suivi de
charge nucléaire à 63 GW, ce qui lui permettra de compenser au mieux 20GW de
variation de puissance en quelques heures… ce qui nous promet donc du gaz (ou
10 le maintien du charbon !) pour assurer la survie du réseau avec son lot de
gaz à effet de serre et autres polluants atmosphériques, sans parler des prix
de gros qui font du « yo-yo » sur le marché, ce qui pénalise le nucléaire et
ses entreprises comme EDF qui ont besoin de stabilité et de visibilité pour
investir. L’électricité nucléaire, un service public
qui doit en avoir le statut Pourra-t-on assurer une croissance
énergétique décarbonée sans nucléaire en Europe ? Il est urgent pour les Etats qui font le
choix du nucléaire de reprendre l’offensive. Le financement du
nucléaire est un véritable enjeu majeur et complexe pour son développement.
Comment valoriser les projets et les financer ? Les Etats devront payer mais
leurs moyens ne sont pas illimités : ils sont surendettés et face à la crise
financière et de l’inflation (dont le combat pour l’endiguer appelle une hausse
des taux d’intérêt), il va falloir créer une industrie financière dédiée avec
des fonds d’investissement, et pourquoi pas des emprunts d’intérêt public. Par
ailleurs, les Etats doivent accompagner leurs projets de montages financiers à
même de mobiliser les investisseurs publics et privés et leur offrir labels et garanties.
Le coût du capital est très élevé, la construction très risquée et la
rentabilité différée (parfois à 10 ans !), autant de variables à prendre en
compte. Il faut proposer des contrats à long terme – de véritables PPP - en
assurant une rentabilité et des prix correspondant aux coûts.Avec la taxonomie,
les investisseurs pourront déclarer leurs investissements à leur bilan avec les
labels européens « finance durable » : ils sont dans les starting blocks, prêts
à s’engager ! Le Parlement européen a ratifié la proposition de la Commission
d’inclure le nucléaire et le gaz, reste la ratification du Conseil (3) ----------------------------------------------------------------------------- Encore faudra-t-il que les Etats acceptent de faire entrer le privé dans les montages financiers ! Des modèles existent : ils sont différents selon les pays et les cultures de gestion nationales. En France, le Gouvernement a proposé de (re)nationaliser EDF… Elle doit trouver 100 milliards pour prolonger le parc, et construire 6 EPR. On peut s’interroger sur cette proposition : l’Etat a « plombé » l’entreprise suite à ses mauvaises décisions comme régulateur et actionnaire (20 milliards de dividendes prélevés entre 2004 et 2014 ; et 8 milliards de pertes liées à l’obligation faite à EDF de vendre toujours plus d’électricité en dessous de son prix à ses concurrents !). Mais sortir EDF de la Bourse – qui est le signal de profitabilité par excellence – serait ne plus la soumettre à la volatilité des marchés financiers spéculatifs où les investisseurs ne prennent pas d’engagements longs (sauf pour les grands monopoles privés du numérique). Mais il faudra trouver d’autres signaux publics forts, pour garantir le prix à long terme pour les industriels, réduire le coût du capital pour les investisseurs institutionnels patients ; et la maîtrise de la gestion devra être confiée à une gouvernance ouverte aux pourquoi pas aux investisseurs publics et privés et aux collectivités territoriales. Car il ne s’agit pas de rebâtir une entreprise étatique centralement administrée ! Des modèles existent. En Finlande, c’est un modèle coopératif, MANKALA, qui associe tous les acteurs. Au RU, CfD pour Hinkley point (mais il est cher !), le RAB pour Sizewell qui permet d’associer les investisseurs privés (mis en œuvre dans les grands projets d’infrastructures d’intérêt public). Avec ce mécanisme, les financements sont révisés périodiquement par un régulateur indépendant qui évalue les dépenses conformément au cycle de développement (les phases précédant la construction étant beaucoup plus risquées), en garantissant le contrat sur le LT. Les coûts sont ensuite récupérés auprès des clients, ce qui permet de financer un retour sur investissements. L’entrée des investisseurs privés dans le capital reste problématique : la participation des Chinois dans Hinkley point est remise en cause, celle de Rosatom à Fennovoïma en Finlande abandonnée. (A noter que le prêt de 10 milliards russes à la Hongrie pour les 2 réacteurs à Paks vient d’être accepté par la Commission, ce qui confirme la possibilité de dérogation aux règles régissant les aides publiques dans la concurrence… ou aux sanctions contre la Russie !). En l’état actuel du marché, les projets (et leurs financements) doivent toujours passer sous les fourches caudines de la Commission qui veille à leur compatibilité avec les règles de la concurrence ou décide des dérogations sans accepter néanmoins la logique de stratégies fondées sur un meilleur mix énergétique. Elle a accepté le CfD pour Hinkley point, le prêt russe pour Paks, et pourrait accepter de futurs projets mais au prix d’un combat long et onéreux qui ignore des cycles de développement industriel. Et ne règle pas le problème du statut du nucléaire comme bien public européen ! Les Etats nucléaires doivent se mobiliser et passer à l’offensive pour obtenir une véritable maîtrise de leur choix et pour une nouvelle régulation ! Si le nucléaire ne peut être imposé à ceux qui n’en veulent pas (même s’ils sont bien contents de l’acheter quand ils sont en panne !), au nom de quoi pourraient-ils l’interdire 18 à ceux qui le veulent ? La Commission doit organiser la vie des sources dans leur diversité (plus que la neutralité – qu’elle ne respecte pas en imposant les EnR) et viser une politique énergétique cohérente dans l’intérêt général qui ne détruise pas les atouts de chacun : nous relançons l’idée un pacte de solidarité énergétique s’appuyant sur le principe de souveraineté en matière de choix du mix, inscrit dans les traités (article 194 du TFUE), et qui n’exclut aucune source bas carbone, en aidant les pays qui n’ont pas la même histoire ou les mêmes atouts (comme la Pologne). Nous proposons dans ce
cadre, de revoir l’objectif de 15% de nucléaire en 2050 à la hausse, et celui
de 80% d’EnR à la baisse, et de stopper les subventions et la priorité des EnR
sur les réseaux. Il est aberrant d’imposer les mêmes choix technologiques d’en
haut à tous les Etats membres surtout quand ceux-ci menacent les systèmes
nationaux et le système européen ; par contre pourquoi pas, permettre aux pays
qui veulent plus d’EnR, de mutualiser leurs dépenses pour les batteries et le
stockage. Un nouveau marché doit favoriser les coopérations renforcées et à
géométrie variable dans le nucléaire pour partager les coûts des différents
risques comme ceux de la sûreté, aider à la gestion des déchets, définir des
licences communes (ex des SMR), financer la formation des personnels, partager
les coûts de RD dans le CCS entre les pays qui n’ont pas d’autres choix que le
charbon ou le gaz, et la RD pour la G4, ITER ou l’hydrogène, financer les
interconnexions… Le Touquet, le 12 septembre 2022 Claude Fischer
Herzog
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