mardi
28 mai 2024

OÙ  EN  EST  LA  DÉFENSE  EUROPÉENNE ?

   vers une autonomie stratégique de l'Union Européenne  ( par  Olivier  GRAS )














Le Mouvement Européen du Touquet recevait ce mardi 28 Mai Monsieur Olivier Gras, Secrétaire général d’EuroDéfense France, Ingénieur général de l’armement (2s), Formation X et Sup’Aéro (ENSAé) et en management stratégique (IFG-ICG), ayant exercé des postes de hautes responsabilités au sein de la Direction  générale de l’armement (DGA) du ministère des Armées.
Au cours de sa conférence, Monsieur O. Gras a développé avec beaucoup de précisions et d’exemples, le thème de la Défense Européenne et de l’autonomie stratégique de l’U.E. Il a rappelé que l’Union Européenne a été fondée pour maintenir la paix entre les peuples européens, peu de temps après la deuxième guerre mondiale. L’article 42 du traité de l’Union Européenne laissait aux Etats membres leur entière souveraineté en matière de défense et diplomatie. Parallèlement et dans un climat de guerre froide, l’OTAN était créée avec la signature du traité de l’Atlantique Nord. «  Le fondement de l’OTAN est  de pouvoir faire la guerre et de s’y préparer ». 
Monsieur Olivier Gras a ensuite présenté le rôle des différents dispositifs mis en place au cours de ces dernières années entre les états de l’Union Européenne:  « l’Etat major de l’Union Européenne » ; « l’Agence européenne de défense » ; « la Coopération structurée permanente » ; « l'Organisation conjointe de coopération en matière d’armement » (OCCAr). L’intergouvernemental est complété par des outils communautaires tel « le Fonds européens de défense ».









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RAPPORT  de monsieur  Olivier  GRAS              (  DIAPORAMA    après ce rapport )

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers amis,
C’est un grand honneur pour moi d’être reçu ici, dans cette belle ville du Touquet, ville de villégiature mais qui a connu comme tant d’autres les affres et les destructions des deux guerres mondiales.
C’est bien la raison de fond, établir la paix entre les peuples européens, qui est à la base du projet européen.
L’Union européenne, comme l’ont dit les pères fondateurs, tire son origine du partage du charbon et de l’acier, les matériaux de la guerre, pour bâtir la paix.
L’Union a été conçue comme un projet de paix, pour développer le commerce entre ses membres, le marché commun, en laissant aux Etats membres leur entière souveraineté en matière de défense et de diplomatie. Cette dimension intergouvernementale est inscrite dans les Traités : la politique de sécurité et de défense commune définie à l’article 42 du Traité de l’Union européenne.

On peut souligner à l’inverse que les Etats-Unis d’Amérique se sont bâtis pendant leur guerre d’indépendance et leurs pères fondateurs ont alors confié à la fédération de leurs Etats la défense et la diplomatie.
Ces années de fondation de l’Union européenne étaient toutefois celles du début de la guerre froide. Douze pays européens et américains se sont retrouvés face à un ennemi commun, l’Union soviétique, et se sont entendus pour signer en 1949 le traité de l’Atlantique Nord dont nous allons célébrer cette année le soixante quinzième anniversaire.
A la différence de l’Union qui est de promouvoir la paix, le fondement de l’OTAN est de pouvoir faire la guerre et de s’y préparer. Très vite cette finalité dissuasive de l’OTAN s’est affirmée puisque quelques semaines après sa signature, les soviétiques ont levé le blocus de Berlin.

Avec ce double dispositif OTAN et UE, les pays qui en sont membres sont en paix depuis près de 80 ans.   Il faut remonter à l’empire romain pour retrouver en Europe une aussi longue période de paix.
La guerre s’est brutalement réveillée le 24 février 2022 avec l’agression de l’Ukraine par la Russie.
C’est bien pour faire perdurer, pour renforcer, cette magnifique et singulière construction européenne que nous devons prendre conscience des enjeux et y faire face. La devise romaine « si vis pacem, para bellum » n’est jamais autant d’actualité.
C’est tout l’enjeu de la défense de l’Europe, d’être en mesure de maîtriser notre destin.

Tout d’abord la géographie nous y invite. La France est au cœur de l’Europe. De ce simple fait, la France ne peut pas rester insensible à ce qui se passe en Europe.
1) La guerre dans l’ex Yougoslavie avait déjà conduit les Britanniques et les Français à prendre conscience en 1998, dans la déclaration de Saint Malo, que l’Union européenne « doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ».
C’est dans cette dynamique qu’ont été créées l’Etat major de l’Union européenne, pour préparer et conduire des opérations militaires, et l’agence européenne de défense, pour faciliter la mise en place de coopérations d’armement, mener des opérations de recherche et aider à restructurer l’industrie de défense. L’Agence est toutefois dotée de moyens modestes (125 personnes), alloués par les Etats membres, en regard de sa large mission.
Il faut aussi mentionner La coopération structurée permanente. Envisagée par les signataires du traité comme une avant-garde d’États qui « remplissent les critères les plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en vue des missions les plus exigeantes », elle est mise en œuvre de manière plus « inclusive » et moins exigeante.

N'oublions pas l'Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr), agence inter- gouvernementale, hors du périmètre de l’Union qui, avec ses principes innovants, est un lieu de choix pour la gestion gestion des programmes de coopération, comme l'a déclaré la Cour des Comptes 1.
Les programmes en cours gérés par l'OCCAr représentent environ 100 Milliards d’Euros.
De nombreuses opérations militaires ont été ou sont menées. L’une des dernières en date est l’opération Aspides, lancée en février 2024, pour sécuriser le traffic maritime au large du Yemen face aux attaques par missiles des Houthis. Cette opération navale associant cinq Etats membres de l’Union, (FRA, BEL, ITA, GRE, NLD) a déjà protégé plus de 120 navires marchands (Elle rassemble 1000 marins sur 4 frégates et un navire de soutien logistique).
L’Union mène également des missions civiles de police et de soutien aux forces de sécurité ou à l’état de droit. A la différence des opérations militaires qui sont financées par les Etats membres, les opérations civiles sont financées par le budget de l’Union.

A côté de l’intergouvernemental, le communautaire est devenu un grand cadre de l’Union en matière de défense.
La Commission, compétente sur plusieurs questions réglementaires comme la protection des investissements et des infrastructures sensibles, la concurrence, la compétitivité de l’industrie de l’Union, la sécurité d’approvisionnement et la maîtrise des technologies clés, ainsi que dans la relation globale avec les tiers, est un acteur de plus en plus important avec le plein soutien du Conseil et du Parlement européen.
Le fonds européen de défense (FED) a ouvert la voie à un renforcement de la Base Industrielle et Technologique de Défense Européenne (BITDE). Cet outil, fondé sur la base de l’article 173 du traité de fonctionnement de l’UE (TFUE), vise à renforcer l’industrie et développer l’autonomie stratégique de l’UE. C’est un outil communautaire, doté de 7,9 Milliards d’euros sur la période 2021-2027, mis en œuvre actuellement selon les procédures des programmes cadres de recherche et de développement.
Pour leur part, les industriels et laboratoires français sont présents dans 83 des 102 projets retenus dans les deux premiers appels à projets de 2021 et 2022 pour un montant total d’environ 250 M €. Ils en sont les premiers bénéficiaires au plan européen.

2) L’acte d’agression contre l’Ukraine du président Poutine a créé un électrochoc dans les consciences des Européens et celles de leurs dirigeants qui a fait progresser la défense de l’Europe.
L’un des premiers effets a été l’élaboration du concept d’autonomie stratégique lors du sommet de Versailles au printemps 2022. Il s’agit d’abord de réduire notre dépendance dans des secteurs clés, des semi-conducteurs aux matières premières critiques. Le « Chips Act », ou paquet législatif sur les semi-conducteurs en est l’archétype.
Le « Chips Act » vise à doubler la production européenne en semi-conducteur pour qu’elle représente en 2023 20% du marché mondial estimé à plus de $1100 Milliards. Cela représente un investissement public de € 43 Milliards auquel s’ajoute un montant du même ordre de financements privés. Je souligne que l’électronique représente plus de la moitié du coût d’un système d’armes.
Le soutien à l’Ukraine par les Etats membres se manifeste par la livraison d’équipements et de missiles ou de munitions dont le besoin est considérable. Ceci se traduit par la mise en place d’outils à la fois intergouvernementaux, comme la facilité européenne pour la paix abondée par les Etats membres à hauteur de € 12 milliards, et communautaires, au titre du renforcement de l’industrie de défense.
Nous retrouvons la nécessité vitale du « nerf de la guerre ». Les Etats membres de l’Union ont dépensé en 2023 plus de € 270 Milliards. Ces dépenses sont en augmentation, l’OTAN comptabilisant les investissements de défense des alliés européens à près $ 470 milliards en 2024 (soit € 430 milliards).
Elles devront être accompagnées de financements publics, peut être sous forme d’emprunt, venant de la Banque européenne d’investissement qui vient d’assouplir ses conditions de financement des projets duaux, mais aussi d’acteurs privés. Il y a encore beaucoup d’effort à faire pour faire comprendre que l’industrie de défense est vertueuse et durable.

Ces dépenses, importantes, demandent toutefois à être mises en synergie, pour éviter les duplications inutiles. Elles doivent également viser à renforcer l’industrie européenne de défense de préférence aux achats hors de l’Union européenne, estimés à près de 80% des dépenses d’équipement des pays européens par la Commission dans sa récente stratégie sur l’industrie européenne de défense.
C’est tout l’ambition des programmes d’armement bilatéraux comme le Système de combat aérien du futur (SCAF) et Main Ground Combat System (MGCS) de structurer l’industrie de défense européenne et de rendre effective notre autonomie stratégique. A cet égard, concernant le MGCS, les ministres de la défense français et allemand sont tombés d’accord le 22 mars dernier sur une répartition de la charge industrielle entre la France et l’Allemagne.
Ces programmes suscitent l’intérêt d’autres pays européens.
Les autres coopérations européennes, particulièrement avec le Royaume-Uni, restent essentielles. Ces coopérations sont menées dans le cadre des Traités dits de « Lancaster House » conclus en 2010. L’industriel MBDA, leader mondial des missiles, en est largement issu. Lors du sommet franco-britannique du 10 mars 2023, les deux pays se sont engagés à poursuivre le développement du futur missile antinavire / futur missile de croisière (FMAN/FMC) pour éviter des lacunes capacitaires.
4) l’OTAN assure la défense collective des Etats qui en font partie. L’OTAN dispose de moyens communs, centres de commandement, systèmes d’alerte avancés, de communications, de manière à pouvoir répondre immédiatement en cas d’agression d’un allié de l’OTAN, selon les termes de l’article 5 du traité de Washington.
Je souligne que les forces de l’OTAN sont celles que les alliés mettent, volontairement, à la disposition de l’OTAN. Ce sont les mêmes forces, qui peuvent servir tantôt sous commandement national, tantôt sous la bannière de l’UE ou mises à la disposition de l’OTAN.
L’OTAN est le cadre de référence de définition des conditions d’interopérabilité des forces alliées, c’est-à-dire des conditions techniques ou procédurales pour que des forces de pays différents puissent opérer efficacement ensemble.
L’OTAN est enfin une alliance nucléaire.
La défense des pays européens repose aussi sur leur prospérité, à même d’assurer son financement.

Les pays européens prennent conscience qu’ils doivent faire face à la situation critique. Tout dépend de leur volonté politique. L’Union fait la force.

  1  La Coopération Européenne en matière d'Armement - Rapport de la Cour des Comptes 18 avril 2010









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